L'anosmie, le silence d'un sens
Nous braquons les projecteurs sur un handicap souvent incompris qui réalise un grand retour sur la scène médiatique à cause du COVID-19 : l’anosmie.
Composé de osmê qui veut dire « odeur » en grec ancien et du préfixe privatif an —, ce mot signifie littéralement « sans odeur ».
Comme son nom l’indique, elle caractérise donc les personnes qui ne possèdent pas d’odorat. Une perte qui peut sembler, de prime abord et pour la majorité des gens, secondaire, mais qui invalide bien plus qu’on ne l’imagine.
Lors d’une soirée de printemps, autour d’un feu de camp organisé sur un terrain adapté et conforme à la pratique sécurisée de la pyrotechnie, votre cousin vous propose une partie du jeu des « dilemmes ». Dès la première question, ce sacripant vous donne un choix cornélien : « tu préfères quoi entre perdre la vue ou l’odorat ? »
Jetez-moi, sans plus tarder, la première pierre si vous avez répondu en cette nuit étoilée : « la vue ».
Eh oui ! Méconnue et délaissée, l’olfaction est reléguée au rang de sens dispensable. Mais peut-on réellement en vouloir aux hommes et aux femmes actuels ? Nous ne vivons plus dans une société primitive ou le nez devait être affûté pour prévenir des potentiels dangers. Résultat ? Notre organe s’est légèrement rouillé avec le temps. Même sans remonter si loin, les intellectuels des époques modernes semblent tout aussi responsables que l’évolution sociétale. En considérant l’odorat comme sens de la bestialité, du désir et de l’instinct, en gros, celui qui nous renvoie honteusement et inévitablement à notre nature animale, ils contribuèrent allègrement à la vision délétère que l’on peut en avoir.
Alors, après tant d’années passées à fustiger notre nez, arrive inexorablement le moment où l’odorat finit par être délaissé. On peut notamment le retrouver à la 6e place (sur 8 s’il vous plaît, tout n’est pas perdu) du classement des sens les plus utiles selon l’étude réalisée par là City University of London. À titre indicatif, la 7 et la 8 places sont respectivement occupées par la nociception (perception de la douleur) et la thermoception (perception de la température).
Au fait, vous ne le saviez peut-être pas, mais en sacrifiant le sens de l’odorat pendant le jeu des dilemmes, vous avez aussi condamné celui du goût puisque par rétro-olfaction ils sont souvent indissociables. Deux pour un ? Ce n’est pas très pragmatique tout ça.
Si cette vision réductrice de l’olfaction ne pose, hormis pour les professionnels du secteur, généralement aucun problème, elle devient cependant beaucoup plus gênante lorsqu’on l’intègre au spectre de la santé. En effet, aujourd’hui, l’anosmie totale* n’est pas reconnue comme maladie handicapante. Une aberration quand on s’intéresse de près aux conséquences qu’elle peut engendrer.
Premièrement, le manque d’un système d’alarme fonctionnel et quotidien : prévenir des nourritures périmées pour éviter les empoisonnements ou alerter sur les odeurs de fumée, de gaz et autres dangers.
Ensuite, on observe une diminution de la qualité de vie avec la perte du plaisir de s’alimenter ou l’incapacité de profiter d’effluves agréables.
Enfin, il y a l’insécurité que cette situation engendre au quotidien avec l’impossibilité de contrôler ses propres émanations provoquant des problèmes identitaires et intimes.
Toutes ces conséquences entraînent souvent la dépression du malade et, malheureusement dans de trop nombreux cas, le suicide.
Arrêtons de conseiller à près de 3 % de la population de « vivre avec ». Nous ne soulèverons pas l’ironie de ce choix de mot lorsqu’il s’agit d’une perte, mais nous nous offusquerons de minimiser à ce point cette maladie.
*L’anosmie partielle est un sujet un peu différent que nous pourrons traiter, si vous le souhaitez, dans un prochain article.