Brève histoire du savon de parfumeur
Solide, liquide, de Marseille, d’Alep, de Castille, ayurvédique, noir, surgras, dermatologique, au lait d’ânesse ou même au charbon, la liste des savons existants donnerait le tournis au plus aguerrit des experts. Vous me direz que depuis sa découverte par les Sumériens il y a 4000 ans, ce dernier a eu l’occasion de varier quelque peu. Il a évolué au point d’atteindre une antinomie sémantique : le savon sans savon.
Comment ce produit qui fut successivement plébiscité, oublié, abandonné, décrié et banalisé par les mœurs d’époques se transforma-t-il en ce luxe presque ostentatoire qu’est le savon de parfumeur ? Pour quelles raisons s’est-il retrouvé au cœur d’enjeux économiques stratégiques et pourquoi VIOLET est-elle un témoin circonstanciel de cette épopée ?
Ensemble, remontons le temps, au moment où la révolution hygiénique est devenue une affaire de coquetterie.
Vous nous pardonnerez de prêcher pour notre paroisse, mais l’histoire de VIOLET est l’exemple typique de ces parfumeries qui mêlèrent leurs destins à celui des savons.
En 1823, Violet et Guénot s’associent pour ouvrir une boutique d’un genre qui est depuis révolu, un commerce de détail en cosmétique au cœur de la rue Saint-Denis à Paris. Leur réputation grandissante, ils la doivent à un produit en particulier. Cela ne sert à rien de faire perdurer le suspens plus longtemps, car vous l’aurez compris : c’est grâce au savon. Tandis que VIOLET gagne de nombreux prix pour ses innovations en savonnerie, ses produits connaissent un succès grandissant qui lui permet d’ouvrir une usine à la plaine Saint-Denis. Ils mettront en vente des dizaines de savons parfumés et en quelques années seulement, VIOLET deviendra une référence nationale en la matière. Mais la marque à la reine des abeilles n’est pas la seule dans ce secteur et la concurrence est pour le moins rude. À tel point que les batailles finissaient souvent devant les tribunaux de l’époque.
Les participants contemporains de VIOLET à la course au savon ? Des maisons dont le prestige résonne encore aujourd’hui : Galimard, Fragonard, Guerlain, E. Coudray, Piver, Gelé frères, Molinard, bourgeois, Pinaud.
Mais alors pourquoi un engouement soudain et une telle offre de la part des parfumeries de l’époque ?
Tandis que le parfum était privilégié pour la toilette durant la renaissance, il fallut attendre la fin du 18e siècle pour que le savon parfumé connaisse son avènement. Grâce à l’essor de l’industrialisation, aussi bien les classes populaires que la bourgeoisie accueillirent le savon dans leur salle de bain. Il devint ainsi un produit incontournable du quotidien. De nombreuses maisons flairèrent cet engouement pour ce produit et proposèrent rapidement de répondre à cette demande grandissante. Mais le savon de Marseille reste, durant des décennies, la référence indétrônable. Faisant même de la cité phocéenne l’une des capitales mondiales du savon. Un événement cependant, vint chamboulé l’ordre établi : L’embargo anglais de 1801 sur les matières premières. Cette situation fit augmenter si drastiquement les prix de la fabrication des savons qu’elle obligea les savonneries à redoubler d’ingéniosité. Ils intégrèrent alors d’autres huiles pour substituer l’huile d’olive devenue hors de prix. C’est ainsi que les savons furent composés, en partie, de bases moins odoriférantes telles que le coprah, la noix, le colza, la palme ou le lin. Cette nouvelle formulation ouvrit le champ des possibles et permit d’intégrer plus facilement des fragrances aux formules. Couplez à cela les avancées scientifiques, l’essor de la parfumerie fine, le besoin de certaines classes sociales de se différencier du reste de la population, et ce, jusqu’à la salle de bain et vous obtenez un boom des savons de parfumeurs.
savons de la parfumerie VIOLET issue d'un catalogue produit
Les parfumeries de l’époque se jetèrent alors dans la brèche et, bientôt, toutes les maisons respectables proposèrent des savons parfumés à leur catalogue. Aujourd’hui, il est presque inconcevable d’avoir un savon sans odeur. Au point où, ironiquement ce sont ces savons neutres en sillage qui devinrent la niche.
Avec le temps, la plupart des instituts se sont spécialisées. Les parfumeries, comme on l’entendait à l’époque, ont abandonné la richesse de leur catalogue au profit de produits uniques. Dans cette histoire, on oublia lentement que les parfumeries étaient de véritables temples de la variété cosmétique.