Nait-on nez ?
Un jour, à l’aube de vos cinq ans, vous courrez voir votre représentant légal dans la cuisine et vous lui annoncez, sans ciller, droit dans les yeux : « Plus tard ze zerait parfumeur ! » Avec une diction pareille, votre interlocuteur semble, soit dit en passant, ravi que votre choix ne se soit pas arrêté sur orthophoniste. Il tend alors vers vous un petit récipient en verre rempli à ras bord d’aromates de cuisine et demande le plus sérieusement du monde : « Ça sent quoi ça ? » Si vous lui répondez ce jour-là : « C’est de la sauge sclarée issue de la famille des lamiacées, plante aromatique s’accordant à merveille avec les poissons et les viandes, mais aussi appréciée dans les notes masculines » alors vous êtes officiellement un dieu parmi les fourmis. Sinon pas d’inquiétude vous avez toute une vie pour acquérir compétence et connaissance.
Car oui, il faut débunker le mythe du parfumeur né. Attention, il existe bel et bien des personnes ayant des appétences et des facilités pour se figurer le monde des odeurs, et ce, dès le plus jeune âge, mais rien ne dépassera jamais l’expérience et l’entraînement. Ce n’est pas pour rien que les parfumeurs stars de grands groupes ont en moyenne autour de la cinquantaine. En parfumerie, comme dans tout, le travail est le grand secret.
Certes, vous entendrez, au détour d’une interview que, déjà tout petit, et avant même de savoir compter, tel ou tel maître-parfumeur faisait des mélanges dans l’arrière-boutique d’une officine grassoise. Mais ce qu’omet sciemment de mentionner ce maestro des odeurs est les milliers d’heures à apprendre par cœur, une à une, chacune des matières premières qui composent la palette olfactive de tout bon parfumeur. Pourquoi tant de mystère ?
Parce que le travail acharné, les centaines de ratés, les soirées entières de remise en question et de doute pour en arriver à exceller dans un domaine seront toujours moins glamours que la version d’un enfant prodige suivant sa destinée.
Il n’y a pas un parfumeur/parfumeuse compétent(e) qui ne soit pas un bourreau de travail. Un forçat qui réfléchit matin, midi et soir pour créer la prochaine note olfactive addictive. Pour un accord concluant, vous n’imaginez pas le nombre de tentatives nécessaires. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’on appelle cela des « essais ».
Mais l’école du « travail acharné pour devenir parfumeur » n’a pas que des adeptes et dans les rangs de ses détracteurs nous retrouvons non moins que Germaine Cellier. Cette autodidacte de renom pensait que le temps et l’expérience ne supplanteraient jamais une créativité innée. Nous lui concédons qu’elle est l'illustration de son opinion puisqu’elle a, en son temps, révolutionné le monde de la parfumerie sans aucune formation initiale. Un sujet donc clivant qui renvoie au célèbre conflit « l’innée face à l’acquis ».
À la question : « Naît-on nez ? » Nous répondrons chez Violet: non, on le devient. En travaillant, jour après jour, accord après accord, essai après essai. On réussit parfois, on rate souvent. On est fier de nous l’espace d’un instant et l’on se remet en question tout le reste du temps. Chacun possède le potentiel de devenir parfumeur s’il réunit ces deux qualités : volonté et curiosité. Ce n’est pas la naissance qui nous définit entièrement, malgré tout ce que l’on peut entendre. Alors, à vos mouillettes, vous avez du pain sur la planche.